Article original datant du 25/04/2015
L’ancien président Bill Clinton semble avoir joué un rôle en aidant le magnat de l’industrie minière Frank Giustra à conclure un accord lucratif d’extraction d’uranium avec le Kazakhstan. Ce contrat, et ceux qui ont suivi, ont coïncidé avec des dons généreux à la Fondation Clinton.
Ce qui suit est une tentative d’organiser les faits recueillis par le New York Times, Newsweek et d’autres sites d’information dans un ordre clair et chronologique.
Fin 2004 : Le magnat canadien de l’exploitation minière Frank Giustra crée une société pour investir dans l’extraction de l’uranium, appelée UrAsia Energy Ltd.
Juin 2005 : Giustra rencontre Bill Clinton lors d'”une collecte de fonds pour les victimes du tsunami au domicile de M. Giustra à Vancouver“. Les deux hommes s’entendent bien. (Note : Newsweek rapporte que Clinton et Giustra se sont rencontrés pour la première fois en janvier, et non en juin).
Août 2005 : La société de M. Giustra, UrAsia Energy, envoie des consultants en ingénierie au Kazakhstan, qui abrite environ 20 % de l’approvisionnement mondial en uranium. Le Kazakhstan a un gouvernement répressif avec un mauvais bilan en matière de droits de l’homme et une histoire d’élections injustes. Nursultan Nazarbayev est son seul président depuis 1991. Un rapport de Human Rights Watch (WIKI) de 2004 déclarait :
“L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et le Conseil de l’Europe ont estimé que les élections n’étaient pas conformes aux normes internationales, citant des commissions électorales déséquilibrées et un parti pris des médias en faveur des partis pro-présidentiels.”
6 septembre 2005 : Giustra fait voyager l’ancien président Clinton dans son jet privé pour des arrêts dans trois pays. Ces arrêts s’inscrivent dans le cadre des travaux de la Fondation Clinton visant à accorder un accès moins cher aux médicaments contre le sida. La première étape de la tournée, dont on dit qu’elle a été “organisée à la hâte“, est le Kazakhstan. Ce sera la seule visite post-présidentielle de Clinton dans ce pays.
Clinton donne ensuite une conférence de presse sur son travail sur le sida avec le président Nazarbayev et le félicite ensuite pour “l’ouverture de la vie sociale et politique de votre pays.” Clinton félicite spécifiquement Nazarbayev pour les promesses qu’il avait faites quelques semaines plus tôt en faveur d’élections libres et équitables. Clinton a suggéré que cet engagement “sera très influent dans ce que j’espère être une candidature réussie à la direction de l’OSCE (WIKI) en 2009. Je pense qu’il est temps que cela se produise, c’est une étape importante, et je suis heureuse que vous soyez prêt à l’entreprendre.” Au moment où Clinton a fait cette déclaration, le gouvernement américain ne soutenait pas la candidature du Kazakhstan à la direction de l’OSCE, invoquant une “grave corruption“.
Toujours au cours de leur séjour d’une nuit au Kazakhstan, Frank Giustra dit au président Nazarbayev qu’il cherche à établir une relation d’affaires avec Kazatomprom, la société publique d’extraction d’uranium du Kazakhstan. Le président Nazarbayev répond : “Très bien, allez-y“.
Le 7 septembre 2005 : Clinton et Giustra quittent le Kazakhstan à bord du jet privé de Giustra.
8 septembre 2005 : UrAsia Energy Ltd. signe un protocole d’accord avec Kazatomprom d’une valeur de 450 millions de dollars. Le New York Times rapporte qu’UrAsia est passée du jour au lendemain d’une société écran de second rang à un producteur d’uranium de premier plan. Un expert de l’industrie de l’uranium déclare au Times que la sélection d’UrAsia pour cet accord est un “mystère“.
11 novembre 2005 : Zamanbek Nurkadilov, un ancien maire d’Almaty qui a rejoint un parti d’opposition et a menacé de publier des documents prouvant la corruption “de haut niveau” de l’administration du président Nazarbayev, est retrouvé mort. Il a été abattu de trois balles, deux dans la poitrine et une dans la tête. Le gouvernement considère que sa mort est un suicide.
Décembre 2005 : Nursultan Nazarbayev remporte un nouveau mandat de 7 ans en tant que président avec 91 % des voix. M. Clinton félicite Nazarbayev pour cette victoire dans une lettre qui déclare :
“Reconnaître que votre travail a reçu une excellente note est l’une des plus importantes récompenses dans la vie.“
Début 2006 : Giustra fait un don de 31,3 millions de dollars à la Fondation Clinton. Le don est gardé secret jusqu’en décembre 2007.
Septembre 2006 : Giustra “coproduit” le gala du 60e anniversaire de l’ancien président Clinton, un événement qui permet de récolter 21 millions de dollars pour la Fondation Clinton.
Février 2007 : Uranium One, une société minière sud-africaine, rachète UrAsia Energy Ltd. pour 3,1 milliards de dollars. Le chef du Kazatomprom a une réunion privée de 3 heures avec Bill Clinton au domicile new-yorkais de ce dernier pour discuter d’un prochain accord commercial arrangé par Giustra. Interrogé sur cette réunion par le New York Times, Giustra a nié qu’elle ait eu lieu ou qu’il l’ait arrangée. Lorsqu’on lui fait remarquer que Moukhtar Dzhakishev (WIKI), président du Kazatomprom, a une photo avec M. Clinton prise à l’intérieur de sa maison pendant la réunion, Giustra fait volte-face. De même, un porte-parole de M. Clinton nie d’abord que la réunion ait eu lieu, puis publie une “correction” reconnaissant qu’elle a eu lieu.
Juin 2009 : Une filiale de l’agence russe de l’énergie atomique, Rosatom, acquiert une part de 17 % dans Uranium One.
2009-2012 : Les archives des Fondations Clinton montrent que Ian Telfer, président d’Uranium One, a fait un don de 250 000 $ en 2007, mais les archives canadiennes montrent que le montant réel était plutôt de 2,35 millions de dollars pendant la période où Uranium One était acheté par Rosatom.
Juin 2010 : Rosatom cherche à obtenir une participation majoritaire dans Uranium One. Comme Uranium One possède des intérêts miniers aux États-Unis, la transaction doit être approuvée par le Comité des investissements étrangers. L’une des agences qui doit approuver l’accord est le Département d’État, où Hillary Clinton est Secrétaire d’État.
29 juin 2010 : La chronologie du New York Times indique que “Bill Clinton est payé 500 000 $ pour un discours à Moscou par une banque d’investissement russe ayant des liens avec le Kremlin qui a attribué une note d’achat aux actions d’Uranium One.” Le président Poutine aurait remercié Clinton pour avoir prononcé ce discours.
Octobre 2010 : La participation majoritaire de Rosatom dans Uranium One est approuvée. Les actifs les plus précieux de la société sont les droits miniers appartenant à l’origine à UrAsia Energy Ltd, grâce à l’accord conclu juste un jour après le départ de l’ancien président Clinton du Kazakhstan.